Hadda, ou les infortunes de la Hogra


Jamais de ma vie je n’ai assisté à un spectacle où les applaudissements ont duré autant qu’après la pièce Hadda. Mes bras étaient littéralement endoloris tant ils se sont éternisés. Le public rendait hommage à Meryem Zaimi, qui a subjugué son public dans un monologue  digne des meilleurs artistes de la scène, pour la jeune pousse qu’elle est.

 

Hadda est un chef d’œuvre artistique, qui provoque une de ces émotions si grandes qu’elles rappellent au mot son impuissance devant le sentiment, quand ce dernier est si intense qu’il se refuse éternellement à son étreinte. L’histoire rappelle  » les infortunes de la vertu » du Marquis de Sade, ou un malheur constant et indélébile semblait pourchasser une certaine Justine, quoique sa bonne foi et son bon coeur. Hadda, c’est une Justine issue des faubourgs de Fès, à qui la vie ne concédait de répit que pour aussitôt l’écraser  sous le poids de la désillusion, ne lui laissant d’autre issue que de s’adresser à Dieu, l’ultime refuge contre la cruauté des hommes et des destins contraires.

 

Hadda, blasée par trop de souffrance, de mal- être et d’amours meurtris, a mué de l’innocente fille du village vers la kamikaze aguerrie, en passant par la prostituée et la maîtresse . « Nous ne sommes pas nés terroristes, c’est notre sort qui nous a faits ainsi », qu’elle semblait dire, pour dénoncer un pays ou l’injustice sévit tant qu’elle en fait une réelle fabrique de suicidaires en puissance.

 

Sans dededed

 

Pour représenter Hadda, Jaouad Essounani( metteur en scène et père fondateur de  DABATEATR) en a fait une pièce- concert, restant fidèle à la vision d’un théâtre pluridisciplinaire véhiculée par la compagnie. Ainsi, en guise d’accompagnement, Meryem avait un batteur, une violoncelliste, et un flûtiste qui de leur savant jeu ont ajouté au plaisir des yeux et de la raison celui de l’oreille, et ce par de belles mélodies qui ont rythmé le jeu théâtral. Pour compléter le paysage, un projecteur ponctuait les mouvements de l’actrice par des animations tout aussi artistiques. Mais la cerise sur le gâteau, déjà bien garni, ce fut quand Meryem prit le micro et  chanta un extrait de Rita de Marcel Khalifa d’une voix qui en a charmé plusieurs. Si ce n’était une once d’exagération dans le cru du langage utilisé, peut être pour choquer et inoculer le message manu militari,  Hadda aurait flirté avec la perfection.

 

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Par ailleurs, si le choix de mise en scène  partage plusieurs points communs avec une certaine « Sahara mon amour », pièce jouée dans le cadre du festival Thé-arts organisé par l’association « Nous jouons par les arts » il y a deux ans à la villa des arts Rbatie, il s’en démarque par un jeu plus riche mais plus compréhensible, plus proche du spectateur. En effet, mon appréhension majeure, peut-être la votre aussi, quand je vais voir du théâtre, c’est celle de ne pas comprendre ce qui se joue. L’art chez nous demeure élitiste, au vu des conjonctures économiques impropices, mais il l’est encore plus, par essence, par ceci qu’il faut être artiste pour comprendre l’art. Hadda, DABATEATReuse fière, rompt avec cette infamie, et se veut théâtralement concrète. Parce que, au delà de l’expression, c’est le contenu que la pièce vise. Hadda est une œuvre engagée, un cri de révolte de la femme contre le mâle despote, de l’homme libre contre le tabou, de l’oppressé contre le système aux valeurs de circonstance, du disciple contre le sheikh à la religion instrument, de l’histoire contre l’oubli, de la logique contre le stigmate…

 

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